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Beyrouth, la stratification du terrier

Thomas Van Reghem
Détail - Thomas Van Reghem - La Boite Noire V - 2019 - Traces de suies balayées par des canaris durant leur envol, fenêtre
Galerie Faure Beaulieu présente
 
Thomas Van Reghem
Beyrouth La Stratification du terrier
 
du jeudi 8 au mardi 20 octobre 2020
du mardi au samedi, de 14h à 19h30
au 35 rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris (Galerie FSD 35)

Vernissage le jeudi 8 octobre aux horaires étendues de 15h à 21h

 

«Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes.

Tout s’anéantit, tout périt, tout se passe. Il n’y a que le monde qui reste.

 Il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde!

Je marche entre deux éternités. »

Denis Diderot, Salons de 1767

 

Parler avec Thomas van Reghem relève de la pérégrination. Des mines de charbon aux territoires en guerre dans la région ukrainienne du Donbass, de la Seine-Saint-Denis de son enfance citadine aux villes chaotiques du Liban, c’est par le voyage et le détour autant géographique que mental que l’on approche son œuvre. Il y est d’abord question des lieux, de leur histoire, de leur mémoire ou plutôt de leur oubli.

 

Cette nouvelle exposition est dédiée au Liban, pays récemment mis au centre d’une terrible actualité, où l’artiste a séjourné à plusieurs reprises. Terrain d’étude et de rêve, lieu de recherches et de projections, le Liban concentre à ses yeux « tous les paradoxes » ; c’est, dit-il, « un laboratoire pour percevoir l’état du monde et de la poésie ». Thomas van Reghem a fait sien ce laboratoire de réflexion et de création.

 

La vidéo qu’il présente (Architecte d’un chemin creusé dans les ruines d’autres chemins, 2018) a été filmée à New Beyrouth et mène le spectateur parmi l’amoncellement de gravats et de roches du polder construit sur les ruines de la guerre. Sa série d’images Le jardinage comme reconstruction (2019-2020) suit quant à elle l’ancienne ligne de démarcation qui séparait les quartiers musulmans des quartiers chrétiens dans la capitale libanaise pendant la guerre civile de 1975 à 1990. Photographiant les mauvaises herbes qui subsistent aujourd’hui là où la jungle avait donné son nom au no man’s land, l’artiste a capturé ces herbes de l’oubli, annonciatrices de la réappropriation du territoire par les habitants de la ville. Avec humour, il a été jusqu’à imaginer à partir de ces photos une série de projets d’emballages de bouteilles de glyphosate : solution aux vertus amnésiques, l’herbicide pourrait ainsi éradiquer toute trace végétale des mauvais souvenirs de la guerre.

 

L’œuvre d’art témoigne avec fragilité et révèle de manière inattendue ce que l’histoire cherche à taire. Avec Mon(t) Liban (2020), Thomas van Reghem érige une forme de stèle contemporaine aux disparus de Beyrouth. S’inspirant de la pratique solidaire des Beyrouthins qui faisaient des dizaines de doubles des clés de leurs appartements pour abriter leurs proches en cas d’attaque ou de bombardement, il conçoit une installation où se trouvent réunies 900 copies de la clé d’un appartement détruit pendant la guerre, afin d’en rouvrir la serrure reconstituée, celle d’un nouveau lieu imaginaire, d’un refuge mental.

 

Insufflée par une recherche nourrie d’expériences, de lectures et de rencontres, la démarche de Thomas van Reghem, qu’on ne s’y méprenne, n’est pas pour autant celle d’un historien ou d’un ethnologue mais bien d’un jeune artiste contemporain. Thomas van Reghem crée ce que l’on pourrait appeler des lieux d’oubli, comme on parle désormais grâce à Pierre Nora de lieux de mémoire, des lieux – des espaces, des situations – qui sondent l’oubli pour ré-enchanter le monde.

 

Recouvertes par la suie, les fenêtres de la série Dans la boîte noire (2019) ont été striées par les battements d’ailes de canaris. Le verre porte la marque du vol des oiseaux, la suie en a mémorisé la trace. Au Liban, le chant des canaris nichés aux balcons des fenêtres se confond dans la rue avec le vacarme de la cité. Dans les mines de charbon, les canaris étaient autrefois utilisés comme messagers protecteurs pour prévenir les ouvriers des explosions provoquées par les coups de grisou. D’un pays à l’autre, la délicatesse du canari évoque aussi la possibilité du risque. Regarder par cette fenêtre opaque et quadrillée de plomb, c’est se rappeler l’envol du canari, voir un morceau de ciel et prendre conscience du péril qu’encourt chaque être humain. C’est sentir l’épaisseur de la mémoire – ou les strates de l’oubli – et descendre au fond de la mine, dans la boîte noire.

 

Alors que je l’interrogeais sur cet ensemble, Thomas van Reghem a répondu par la digression. Il a évoqué l’une des dernières nouvelles écrites par Franz Kafka en 1923, quelques mois avant sa mort : Le Terrier. Son narrateur, mi-homme mi-bête, raconte l’édification obsessionnelle de son terrier, forteresse souterraine qui d’abord le protège en l’isolant de toute invasion extérieure, puis l’enferme peu à peu dans un dédale de galeries qui l’expose finalement à tous les dangers. Le titre allemand, Der Bau, est polysémique : il désigne le terrier, mais aussi le chantier, la construction ou le cachot. L’artiste serait-il pareil au narrateur de ce récit singulier, poursuivant sans relâche un lieu idéal, au risque de s’y perdre ?

 

 Armance Léger, 2020.

 

*Dans l’imaginaire courant, la boîte noire est l’appareil qui permet d’enregistrer la mémoire d’un vol d’avion après un crash. Mais le terme est aussi utilisé par les psychologues pour désigner le cerveau et l’ensemble des stimulations, des sensations et des pensées qui l’animent.

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